Voici le premier chapitre du livre à paraitre sur les "constructions d'identités"
Chapitre 1 – Limites corporelles et frontières psychologiques.
En tant qu’êtres humains et ce dès notre plus jeune âge, nous construisons une conscience de nos limites corporelles. Nous utilisons nos cinq sens, notre présence au monde perceptuelle, kinesthésique, sensorielle - avec le corps - et aussi visuelle, auditive, olfactive et gustative, de façon à construire une réalité de notre présence au monde, qui est notre réalité corporelle, et qui nous permet de nous différencier de notre environnement.
Dans la petite enfance, cette identité se construit peu à peu, au fur et à mesure que l’humain apprenant appréhende la conscience de son corps dans le monde, et ceci au contact des autres êtres humains, des objets et des réalités qui lui sont extérieurs. Au fur et à mesure, il détermine une limite qui est celle de son corps et qui est sa « frontière » physique par rapport au monde. Cette construction prend un certain temps. Ce sont les expériences qui permettent de créer ces limites, ces seuils perceptuels, de façon à ce que l’humain puisse respecter la conscience de son intégrité en développant sa construction physique. Ce sont ces frontières mentales, résultantes de ses limites physiques, qui lui permettent de connaître les seuils perceptuels de son intégrité.
Il va donc avoir des seuils perceptuels liés au bien-être et à la douleur, au plaisir et au déplaisir. Et ces deux systèmes, ces deux présences à lui-même, détermineront ensuite ses orientations de choix et sa présence au monde. C’est cette première réalité corporelle qui détermine une limite.
Le corps est une limite existante dans ses perceptions. Elle est ensuite intégrée à l’intérieur de lui-même, dans un schéma corporel, une réalité mentale imaginée à partir de sa présence au monde. Il développera des seuils différents selon les contextes dans lesquels il se trouvera. Il existe une différenciation de la perception de soi, physiquement, corporellement, par rapport aux autres individus.
Chacun d’entre nous, en fonction du contexte dans lequel il se développe, selon son environnement, va déterminer une conscience de son corps différente. Un enfant, élevé dans un espace très vaste comme le désert ou l’Amazonie, va avoir une conscience de sa présence - de son corps au monde - différente de celle d’un enfant élevé dans l’espace restreint d’un appartement, dans une ville. Et cela donnera effectivement des notions différentes de possibles selon l’environnement où il se développera.
Cette première réalité est déterminante. Il s’agit de l’environnement avec lequel il est en relation, sa niche écologique.
Si l’on touche cet enfant physiquement ou si on ne le touche pas, selon les différents contacts qu’il aura avec les humains qui l’entourent, cela déterminera également la conscience de ses limites corporelles qui seront vécues plus ou moins différemment selon l’environnement social.
Il s’agit là d’une seconde réalité déterminante au travers de laquelle il se développe: la prégnance de sa culture sociale.
Il existe, bien sûr, d’autres paramètres qui interviennent dans la construction de sa perception et du rapport à sa perception du monde et à ses limites corporelles. Il existe à l’intérieur de chacun d’entre nous, des modes perceptuels différents, déterminés par notre patrimoine génétique, notre hérédité : altérations, déficiences, carences ou hyper sensibilité. Et chaque être humain aura une spécificité dans ses développements perceptuels qui va effectivement déterminer sa manière particulière - la manière unique de chaque être humain - de percevoir le monde et de construire la conscience de son corps.
L’on peut d’ores et déjà se demander - et c’est une question qui reste encore sans réponse - comment l’humain, à priori, connaît ce qui est agréable et désagréable.
Nous pouvons supposer qu’il existe une conscience initiale à cela, sinon lorsque nous arrivons vers des espaces de danger, nous ne saurions pas nous retirer de ce danger.
C’est donc qu’il existe chez l’être humain, avant même qu’il ait créé suffisamment de perceptions pour les définir, une conscience initiale du danger - sachant que la douleur peut atteindre à son intégrité - sans laquelle il n’y aurait pas de réflexe de retrait lorsqu’il y a douleur.
L’information semble connue, avant, d’une conscience, vraisemblablement dans les sens, de ce que peut être l’équilibre psycho corporel.
Cogito:
Lorsqu’un enfant expérimente la conscience d’un désordre perceptuel à chaque nouvelle expérience, cette dernière est testée pour savoir si elle est connue afin de l’intégrer dans l’ensemble des connaissances perceptuelles existantes. Nous pouvons considérer que toute nouvelle expérience crée donc un chaos, un désordre dans un ordonnancement perceptuel déjà pré établi.
Est-ce qu’il s’agit de la conscience d’un ordre perceptuel de l’intégrité dans les sens ou d’un ordre pré établi dans une conscience évaluant une différence d’ordre dans les sens ?
L’intégrité est-elle dans la conscience du corps (si oui, elle est bio physiologique) ou est-elle dans une conscience qui a conscience de ce que devrait être l’intégrité (si oui, elle est psycho physiologique) ?
À partir de ses perceptions, les seuils d’un être humain vont être multiples :
• Les seuils auditifs : des bruits, des sons qui seront plus ou moins difficiles à entendre. Toujours en fonction de l’environnement dans lequel il se développera, cet être humain va, bien sûr, mettre une attention particulière plus ou moins importante dans la conscience de son corps. Certaines phrases restent en mémoire en relation à la souffrance ou au plaisir qu’elles ont pu procurer.
• Les seuils kinesthésiques : Qu’un enfant vive une situation d’agressions physiques, ou qu’il reçoive le minimum de contacts physiques ou qu’il soit entouré, choyé excessivement ; dans chacune de ces trois situations, l’enfant aura la particularité d’investir la conscience de ses sens - la conscience dans son corps - à son unique manière.
• Les seuils visuels : Etre témoin visuel de certaines situations psychologiquement non « gérables » pourra générer des difficultés à voir ensuite certaines situations et générer des évitement afin de ne pas être confronté au non sens.
L’on peut se poser la question de savoir si certaines expériences sensorielles extrêmes peuvent générer des altérations qui seraient un retrait de la conscience dans certains sens (cécité, surdité, aphasie, etc. en l’absence d’atteinte des organes y référant).
Ceci nous conduit à penser que certaines personnes ont des préférences perceptuelles, ou ne perçoivent tout simplement pas certaines perceptions, surtout si celles-ci sont associées à de la souffrance. Un être humain qui vivrait en carence alimentaire aurait tout intérêt, pour éviter la souffrance, d’inhiber - ou en tout cas d’éviter d’avoir - une perception de la faim. Ce qui va, chez cet individu, faire reculer le seuil de perception de la conscience de ce qui est agréable ou désagréable dans le domaine de la nutrition.
Et dans les autres domaines, qu’ils soient visuel ou auditif, des systèmes semblables s’installeront, des seuils perceptuels qui permettront de définir où l’équilibre existe et ou, au contraire, il n’existe pas. Nous appellerons cette fonction d’équilibre l’homéostasie intérieure qui est en relation avec le monde extérieur. Cette homéostasie est appliquée au premier niveau de notre territoire, celui des topographies de notre corps.
Chaque espace du corps est une topographie. Les plis, les bosses, les recoins, les creux sont les topographies qu’une personne apprend d’elle-même. Puisque la conscience vraisemblablement appréhende ce corps, cette topologie va constituer les informations qui lui permettront de créer la géographie mentale d’elle-même. Celle-ci deviendra une abstraction puisqu’il y a représentation intérieure. Le terme re-présentation signifie que les limites perçues à l’extérieur, par quelque sens que ce soit, seront intégrées à l’intérieur comme une représentation de soi, de façon à pouvoir généraliser des perceptions afin de ne plus être obligé de tester continuellement l’environnement extérieur.
Nous pouvons considérer que la conscience apprenante d’un humain va apprendre, effectivement, une conscience de soi corporelle à partir de généralisations, c’est-à-dire qu’une perception reconnue une première fois, puis un certains nombre d’autres fois identifiées comme similaires, impliquera une généralisation mentale. Il n’y a pas encore de processus linguistique définissant cette perception.
Nous créons une représentation mentale, un espace mental, une construction mentale de soi à partir des espace perceptuels.
Les causes créant les réalités perceptuelles sont certainement importantes. Considérer la manière dont l’apprenant, à partir de ces causes, détermine l’apprentissage et la construction de la représentation de lui-même, me paraît essentiel.
Il est donc fondamental de constater et de reconnaître que les causes qui sont les objets extérieurs et les personnes extérieures – tout ce qui lui permet de construire les limites de ses perceptions et les représentations de son corps - sont déterminantes pour créer des apprentissages.
Ce ne sont pas les causes qui resteront dans la vie de l’apprenant mais les apprentissages faits à partir des causes.
L’apprenant aura créé un apprentissage qui sera intégré intérieurement à partir de réalités extérieures. L’origine causante n’existant plus, l’apprentissage restera permanent.
Expérience (Cause) ——— / interaction / ——— Sujet vivant l’expérience - c’est la nture de l’interaction qui détermine la conséquence de la cause.
Il va construire également des seuils de danger, de vie ou de survie, et il va avoir tendance à éviter certaines situations susceptibles de mettre en danger son intégrité physique.
Par exemple, nous constatons qu’un enfant subissant des agressions et des violences, va apprendre rapidement à avoir des seuils très subtils.
Des seuils d’alerte où, dès la moindre information perceptuelle de dangers se manifestant dans son environnement, il déclenchera immédiatement une capacité d’analyse très fine, très subtile, pour éviter les dits dangers. Un enfant agressé verbalement et ensuite physiquement, apprendra très vite à identifier le lien existant entre l’agression verbale et l’agression physique.
La cause, sujet/objet extérieur agressant, permet à l’apprenant de se créer des systèmes de survie, des systèmes d’évitement d’aller vers, d’éloignement, afin de pouvoir maintenir son intégrité physique. Intégration faite de ce qui lui permet de maintenir son équilibre, il va devoir réactualiser sans cesse la perception de son corps pour maintenir ses seuils d’alerte, malgré les changements constants et évolutifs de ses perceptions.
L’apprenant utilise donc les apprentissages initiaux, ceux initialisés par les risques et les dangers, pour éviter à l’avenir les nouveaux dangers présupposés. Il sera en permanence en lien avec ces constructions mentales car celles-ci sont susceptibles de lui éviter ce qui pourrait hypothétiquement se reproduire. Tout comme il aura tendance à vouloir reproduire les apprentissages agréables, il sera systématiquement dans un processus d’évitement quand il sera en présence d’espaces ressemblant aux apprentissages premiers qui ont été sources de danger.
Exemple :
Un enfant, soumis d’une manière aléatoire à des violences faites par un adulte, ne peut être garant par là même de son intégrité. Cette expérience, durant le développement psychologique de cet enfant, affectera la conscience de son autonomie identitaire. Paradoxalement, il peut déclancher ou vouloir déclancher intentionnellement la violence de l’adulte pour maintenir la preuve de son autonomie face à l’autre. Le fait de pouvoir générer intentionnellement l’action de l’autre place cet enfant dans le pouvoir qu’il peut avoir sur l’autre et donc celui de ne plus subir l’aléatoire des comportements de celui-ci
Un adulte, ayant des comportements phobiques de peur des serpents, peut, dans une certaine mesure, gérer ses craintes tant que celle-ci n’invalident pas son autonomie et son indépendance par rapport à autrui. Si par extension de cette phobie, il s’avère que cette personne devient tributaire d’autrui pour ce qui concerne sa sécurité et sa confiance en elle, elle est atteinte dans son intégrité identitaire. Cette phase devient cruciale dans l’évolution de sa difficulté car elle affecte maintenant non plus son autonomie vis-à-vis de ses états et comportement par rapport aux serpents, mais son autonomie vis-à-vis d’un autre dont elle devient dépendante.
AUTONOMIE: aptitude par rapport à soi - INDÉPENDANCE: aptitude par rapport aux autres
Tant que nous gérons d’une manière autonome une quelconque problématique, nous gardons la conscience de notre intégrité psychologique.
Dès lors que nous ne parvenons plus à gérer seul cette problématique, nous perdons notre indépendance psychologique
Si l’intégrité d’une personne est mise en danger, elle risque de devoir faire face à une difficulté supplémentaire qui se traduira par une réduction d’autonomie par rapport à la réalité extérieure. En effet, il se peut que pour cet apprenant, les situations de danger soient les seuls moments où il puisse déclencher des processus de sécurité. Cet apprentissage particulier pourra l’amener, dans son futur, à rechercher des situations de danger pour enclencher ses processus de sécurité. Paradoxalement, la recherche de l’insécurité peut être un moyen de trouver la sécurité.
Exemple :
Un enfant vivant dans un pays en guerre ou dans un lieu de conflit pendant plusieurs années, ne doit sa sécurité qu’à sa compétence de distinguer toutes les informations source d’insécurité : bruits d’armes automatiques, explosions, tir de mortiers, etc. Cette connaissance lui permettra de se déplacer presque normalement dans son lieu de vie (survie).
Une fois le conflit terminé, n’ayant plus les informations de danger, il sera, pendant un certain temps, à la recherche du moindre bruit pour se remettre en situation de survie, seul moyen qu’il connaisse de se sentir en sécurité.
L’on peut comprendre ainsi la difficulté de réadaptation des enfants soldats et qui parfois n’ont d’autre choix que de continuer à combattre. Ils iront vers la légion ou vivront complètement hors cadre social, dans une forêt, comme certains vétérans. Ceci est généralisable à tout vécu de situation de guerre.
Si certaines perceptions sont liées à des risques ou des dangers pour l’évolution d’un sujet, si par exemple une expérience est extrêmement douloureuse - s’il focalise, s’il met son attention sur cette douleur - il ne va déplacer son attention des autres espaces perceptuels de son corps. Il va, de ce fait, empêcher l’évolution de ces autres espaces perceptuels.
Focaliser son attention vers ce qui pose difficulté, en termes d’apprentissage, sera, pour lui, la solution. C’est ce que l’on peut remarquer chez des enfants ayant un handicap.
Une autre solution de la conscience du sujet ne pouvant contrôler cette réalité à l’extérieur de lui-même, sera de l’ignorer et, de ce fait, d’éviter de percevoir.
Il s’agit tout simplement d’un évitement de percevoir cette réalité, car si le sujet focalise son attention dans cet espace perceptuel - n’ayant plus la conscience dans les autres espaces perceptuels - il limiterait alors son évolution. Il ne s’agit donc pas d’un déni mais d’une solution d’équilibre nécessaire à l’accomplissement de l’évolution.
Nous continuons tout au long de notre vie à apprendre nos cinq sens, au fur et à mesure des changements. Il existe un espace de vie où nous apprenons autant que dans l’enfance, c’est celui de la vieillesse.
Cela signifie que l’on peut considérer qu’une personne âgée est tout autant en espace d’apprentissage de son propre corps que peut l’être un enfant qui arrive au monde.
Et l’on a malheureusement tendance à prendre bien peu en considération une personne qui a atteint un grand âge. Peut-être parce qu’il ne s’agit pas alors d’un développement des perceptions mais d’une diminution des perceptions.
La personne âgée doit réapprendre tout d’abord à désapprendre et ensuite apprendre différemment ce qu’elle avait appris jusque-là.
Il sera important de stimuler les ressources perceptuelles d’un enfant pour lui permettre de construire la conscience de ses limites comme il serait pertinent de porter cette même attention aux personne âgée. En effet, celles-ci n’ont plus conscience de certaines réalités physiques parce qu’elles n’ont pas été accompagnées dans le changement de leurs perceptions corporelles, dans cette évolution/involution de la conscience dans les sens.
Cogito:
Certaines hypothèses présupposent que la conscience est émergente des sens. Cela signifierait qu’il y aurait un seuil minimal de perception pour que la conscience existe. Pour ma part, je considère qu’il est une conscience à la frontière des différences dans les sens, qu’elle est un espace immatériel entre les sensorialités : une géographie entre les éléments de la topographie, un « entre » qui est l’émergence de l’être et qui est avant la naissance du « je », identifié aux perceptions.
A partir du moment où l’on peut percevoir une différence - et l’enfant, très tôt, dès les premières heures de sa vie, perçoit de la différence - il est une conscience qui observe une différence.
C’est la conscience de la différence entre soi et le monde extérieur, entre la perception de soi et la perception que nous avons du monde à partir de la perception de soi : si je me perçois grand ou petit, beau ou laid, intelligent ou stupide, selon, je percevrais le monde différemment.
La conscience des sens, c’est la différence entre le chaud et le froid, entre la gauche et la droite, le devant et le derrière, le haut et le bas, entre toutes ces propositions spatiales parce que la perception organise l’espace.
Elle organise également le déplacement dans le temps puisque les perceptions sont directement accessibles même pour un petit enfant, à quelques centimètres de lui. Il existe des temps plus éloignés, des espaces plus éloignés, pour aller chercher des objets plus éloignés. Donc, la conscience dans sa construction, la conscience dans les perceptions, permet de construire la notion de temps et d’espace.
Il n’y a pas de perception sans temps et sans espace. Ces deux données fontamentales sont structurantes de la conscience des perceptions.
Cette réalité perceptuelle, cette réalité subjective, qui est notre subjectivité humaine, est accompagnée également de perceptions internes. Nous avons d’abord nos perceptions extérieures, plus une construction intérieure de ces perceptions afin de mémoriser les perceptions.
Nous avons aussi une perception intérieure, indépendante de la construction de la conscience des perceptions extérieures. Nous pouvons, en effet, imaginer des sons, des images, des sensations et les créer de toutes pièces. Nous avons aussi dans les perceptions intérieures le pouvoir de créer un espace-temps, qui n’est pas l’espace-temps de la réalité extérieure, qui, lui, devient un espace-temps virtuel, imaginaire. Et bien sûr, l’apprentissage fondamental de l’apprenant des perceptions, est de mettre ses désirs, ses envies et ses souhaits imaginaires en adéquation avec ses perceptions extérieures.
Pour l’apprenant des perceptions, il s’agit là sûrement de la chose la plus difficile à apprendre que de mettre en adéquation la pensée du geste - la pensée mentale - et l’action du geste – le comportement extérieur physique. Comme il a appris son propre corps et ses propres perceptions au fur et à mesure des expériences qu’il a faites, il lui faut apprendre - et c’est encore plus laborieux - comment contrôler et agir sur ses propres créations mentales. Nous sommes là dans les limites du schéma corporel qui est construit intérieurement. Il existe toujours une inadéquation, un ajustement permanent entre ce que nous nous représentons et ce que nous voulons faire, compte tenu également qu’il y a évolution continuelle du champ des perceptions extérieures.
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